Interview de la psychanalyste Cécile Ramos
Il y a peu, j’ai rencontré Cécile Ramos afin d’échanger sur nos expériences professionnelles respectives. Cécile Ramos est une psychanalyste Lacanienne installée dans le 15ème arrondissement de Paris et a accepté de faire une “interview” pour vous faire découvrir, à travers quelques questions, la psychanalyse, l’intérêt de cette prise en charge et tout ce qu’une analyse peut vous apporter.
Quel a été votre parcours et comment devient-on psychanalyste ?
J’ai fait des études de philosophie puis de Lettres modernes. Je suis d’abord devenue professeur puis psychanalyste. Dans ma pratique, je m’intéresse plus précisément à la question du nom propre, à la difficulté pour certains sujets de parler en leur nom. La formation du psychanalyste est à la fois théorique et pratique. En effet, il faut tout d’abord avoir été analysé(e) pendant plusieurs années : c’est une condition nécessaire mais non suffisante pour devenir psychanalyste. Ensuite, le futur analyste travaille sous le contrôle d’un analyste confirmé : c’est ce que l’on appelle une analyse didactique. Parallèlement, il devra étudier les textes fondateurs de la psychanalyse afin d’acquérir une connaissance clinique.
Qu’est-ce que la psychanalyse ?
La psychanalyse a été inventée par Freud à la fin du XIXe siècle. Il a découvert, grâce à ses premières patientes, l’existence de l’inconscient. Il comprend que certains contenus psychiques ne sont accessibles à la conscience qu’une fois les résistances surmontées : le sujet (= le patient) n’est donc pas seulement constitué d’une conscience qui lui permettrait d’être transparent à lui-même, mais il est au contraire divisé. Freud utilisera d’abord l’hypnose qu’il abandonnera rapidement pour mettre en place une pratique fondée sur la parole et l’écoute.
Le cadre psychanalytique créé par Freud reste valable aujourd’hui
La parole fonctionne d’une manière particulière : le patient doit dire tout ce qui lui vient à l’esprit, même si cela lui paraît honteux ou sans importance. C’est ce que l’on appelle la libre association.
Le dispositif (l’analysant est étendu sur le divan sans voir son thérapeute) permet à cette parole de se déployer plus aisément et aux éléments refoulés (des pensées insupportables pour le psychisme, chassées de la conscience, mais qui font retour dans la vie du sujet sous forme de douleurs physiques ou psychiques et de symptômes) de pouvoir ressurgir.
Le refoulement est au cœur de la pensée freudienne. Un conflit psychique se révèle dans l’opposition de deux forces contraires : le désir de savoir et la résistance qui s’y oppose. C’est ce que rappelle C. Hoffmann, psychanalyste et professeur à Paris Diderot, dans son “Introduction à Freud (Le refoulement de la vérité)” : “c’est ce barrage du moi contre l’apparition de la pulsion que Freud nomme refoulement”.
L’analyste écoute son patient avec bienveillance. Cette idée me semble essentielle, car il ne s’agit jamais de porter un jugement ou de savoir mieux que le patient comment il doit se comporter. L’expérience personnelle du divan invite ainsi à l’humilité.
Le psychanalyste travaille à partir des rêves, des lapsus (un mot pour un autre), des actes manqués (envoyer une lettre à un mauvais destinataire par exemple), des oublis (oublier l’heure de la séance par exemple), des symptômes ou troubles psychosomatiques (eczéma…), des associations de mots… Il tente de dénouer ce qui a été noué dans la parole par un travail d’interprétation. La séance d’analyse est donc un espace d’expression et d’écoute où il est possible de tout dire, de tout exprimer, de pleurer, de se taire…
Quelles sont les différences avec les autres thérapies ?
Plusieurs points :
Sur l’interaction patient-thérapeute : car l’analyste ne va pas conseiller le patient ni intervenir dans sa vie. L’analyse n’est pas un coaching : l’analyste ne va pas orienter le patient ni se poser en directeur de conscience. L’analyste cherche à faire émerger un sujet capable de trouver son désir.
L’autre différence est que l’analyste ne va pas chercher à accorder une importance au moi, à l’ego, au sujet conscient, mais va s’intéresser à, ce qui dans le sujet, parle sans qu’il en ait conscience, à un réseau de signifiants qui ont des effets sur le sujet. La parole est constitutive de l’être humain, avant même de naître nous sommes parlés par ceux qui nous ont précédés et ces mots (ces signifiants) ont des effets considérables sur l’individu.
La considération du symptôme : il ne s’agit pas de chercher à le faire taire, de se précipiter pour le supprimer, mais au contraire, il est une réponse à un conflit intrapsychique qui mérite d’être entendu et reconnu car il “dit” quelque chose. A l’heure où il s’agit de toujours être performant, le psychanalyste ne cherche pas à produire des sujets capables de répondre à une injonction sociale, au risque de les conduire à ce qu’il est convenu d’appeler le burning out !
L’analyse suppose un travail approfondi et parfois douloureux. Le patient traverse des moments d’exaltation mais aussi des phases de découragements. Il a l’impression de ne pas avancer, de ne rien dire, de se répéter, pourtant un travail se fait. Cela ne signifie pas pour autant qu’il doit passer des années sur un divan.
Comment se déroule une séance d’analyse ?
Lors des premiers entretiens, on détermine quelle est la demande du patient. Il faut savoir que le travail peut se dérouler en face à face (le travail est alors proche d’une psychothérapie) ou sur le divan ; le premier dispositif pouvant conduire au second (mais pas nécessairement).
Une séance dure en moyenne une demi-heure et la fréquence des séances est variable en fonction des patients (2 ou 3 séances par semaine, mais ce peut être une séance par semaine voire moins) de même que les tarifs. Encore une fois, il n’y a pas de règles figées. Il est important que certains patients (les personnes traversant une période de chômage ou vivant une séparation douloureuse, les étudiants, par exemple) puissent avoir accès à une analyse ou à défaut à un soutien psychique.
Qu’est-ce qui peut être traité en psychanalyse ?
De manière générale, beaucoup de patients souffrent car ils ont le sentiment de ne pas être écoutés et ils se sentent seuls. Ils peuvent dire : “je m’adressais à mon père. Il était là mais pas présent…”. La parole circule sans qu’un échange réel ait lieu, sans qu’existe une écoute véritable. J’aime beaucoup la phrase d’Anne Dufourmantelle (voir bibliographie) “la possibilité d’accueillir l’inespéré”.
Il n’y a pas d’âge pour entreprendre une analyse et permettre de lever des phobies, des angoisses paralysantes, pour échapper à certaines répétitions, à un sentiment d’échec… Il est difficile de faire une liste de ce qui peut être traiter en analyse, mais je peux essayer de donner quelques exemples :
- Un mieux-être, une affirmation de soi.
- Se connaître soi-même et comprendre ce qui les déterminent à agir et qui n’a jamais été mis en mots. Pouvoir parler, mettre en mots donne un souffle nouveau.
- Quand y a une souffrance. Par exemple, lorsqu’il y a une répétition à laquelle le patient ne semble pas pouvoir échapper : accumuler les échecs, rencontrer toujours des hommes violents…
- Des personnes qui ont “tout pour être heureuses” et qui pourtant souffrent sans savoir de quoi précisément. Elles ne s’autorisent pas à penser qu’elles devraient peut-être tenter de faire face à ce qui assombrit leur quotidien.
- Lorsqu’il y a une souffrance au travail : je pense notamment aux employés qui sont écrasés par les demandes de la hiérarchie et qui n’arrivent pas à faire face. Ils ne savent plus faire la délimitation entre leurs désirs et les contraintes professionnelles. Ils ne savent plus dire non et obéissent à des impératifs catégoriques Souvent, la hiérarchie s’appuie sur une culpabilité (qui fait partie du psychisme de chacun) ; cela peut être très destructeur : le sujet s’y perd et devient objet du désir de l’autre.
- Les chômeurs sont parfois plongés dans une grande détresse psychique et une mésestime de soi qui les empêchent de livrer bataille pour retrouver un emploi. Ils se sentent coupables de ce qui leur arrive. Comme les femmes victimes d’un viol surtout s’il est dû à un proche.
- Je pense aussi aux personnes plus âgées qui présument qu’il est trop tard pour entreprendre une analyse.
Précisons que la demande du patient peut être complexe : la demande exprimée lors des entretiens préliminaires peut en cacher une autre qu’il découvrira plus tard.
Vous prenez aussi en charge les enfants et les adolescents : y a-t-il une différence avec le suivi d’un adulte ? Pour quels motifs viennent-ils vous voir ?
En ce qui concerne les adolescents, la demande est complexe car elle ne vient pas toujours d’eux : ce sont les parents ou l’école qui conseillent de faire un travail psychologique, et ils ont des attentes différentes de celles des adolescents.
Par ailleurs, ce n’est pas un âge où on se livre facilement à une introspection et où on accepte de parler à un “psy”, par peur d’être enfermé dans une image, celle du fou. Or, le psychanalyste n’entend justement pas faire la morale ni chercher à adapter un enfant ou jeune adulte à un ordre moral.
L’adolescence est une période difficile (importance de la sexualité, indépendance par rapport au milieu familial…) et beaucoup de jeunes gens ploient sous le silence et la peur de mettre des mots sur ce qu’ils vivent parfois comme une anormalité (l’homosexualité par exemple). Ils ont parfois beaucoup de difficultés pour trouver des repères, pour ne pas se sentir obligés de céder aux demandes des autres. En venant me consulter, ils ne sont plus obligés de jouer un rôle. La parole, les dessins, les silences, les larmes…, adressés à une tierce personne (l’analyste), vont les amener à soulager des douleurs cachées, lever des inhibitions et savoir donner du sens à leur vie.
Parfois, les parents ne parviennent pas à trouver un moyen pour “parler vrai” à leurs enfants et ils peuvent être eux-mêmes écrasés par un secret ou une histoire familiale douloureuse… En s’adressant à un analyste, l’adolescent échappe à une relation duelle qui peut être mortifère pour lui et sa famille. Dans tous les cas, il ne s’agit pas de culpabiliser les parents, quelle que soit l’histoire familiale ou les éventuelles maladresses qu’ils auraient pu ou cru commettre.
Il est à noter que le travail avec des adolescents se fait la plupart du temps en face à face.
En conclusion, quelles lectures pouvez-vous conseillez ?
Je peux conseiller des auteurs qui parlent de psychanalyse sans utiliser de termes trop techniques et qui ont, selon moi, “une plume” :
Anne Dufourmantelle : “Eloge du risque”, “Se trouver”, “En cas d’amour”…
Sabine Prokhoris : elle réfléchit notamment aux nouveaux liens de la parentalité. Elle mène également une réflexion sur la danse contemporaine. Elle vient de publier une histoire de la psychanalyse : “L’insaisissable histoire de la psychanalyse”
Jean-Baptiste Pontalis est l’auteur de l’incontournable “Vocabulaire de la psychanalyse”, mais aussi de textes proches de la littérature : “Ce temps qui ne passe pas” , “Avant”… Certains de ces livres sont des fictions alors que d’autres sont des réflexions sur la psychanalyse. Il a toujours fait preuve d’une grande modestie et refusé d’adopter le discours du maître. Son livre “Le laboratoire central” est un recueil d’entretiens (de 1970 à 2012) particulièrement intéressant
Charles Melman : “L’homme sans gravité” est une réflexion sur la société d’aujourd’hui (lien entre psychanalyse et société). Charles Melman soutient la thèse d’une nouvelle économie psychique qui n’est plus le plaisir mais la jouissance. Elle est liée aux changements radicaux survenus au début du XXIe siècle (importance du virtuel, multiplication spectaculaire des états dépressifs…) le sous-titre “jouir à tout prix” est assez explicite.
Et bien sûr, je recommande la lecture des textes fondateurs de Freud, et notamment : “Psychopathologie de la vie quotidienne”, “Malaise dans la culture”…
Pour la psychanalyse des enfants je conseille les auteurs suivants : Winnicott, Dolto (lecture assez aisée), Mélanie Klein ainsi que Lacan.